Cinéma: “Jusqu’à la garde”
Sortie du film Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand, le 7 février 2018
Synopsis: Le couple Besson divorce. Pour protéger son fils d’un père qu’elle accuse de violences, Miriam en demande la garde exclusive. La juge en charge du dossier accorde une garde partagée au père qu’elle considère bafoué. Pris en otage entre ses parents, Julien va tout faire pour empêcher que le pire n’arrive.
Film récompensé par un Lion d’argent à la Mostra de Venise
(Attention, pour les personnes qui n’ont pas vu le film, l’article suivant révèle des éléments de l’intrigue).
Le film commence par une audience chez la juge : un couple, Antoine et Miriam, se sépare. Ils ont deux enfants, Julien et Joséphine, très prochainement majeure. Miriam est retournée vivre chez ses parents avec les enfants et a peu de revenus depuis qu’elle a quitté son travail. Antoine, dont la situation financière est plus confortable, a demandé un changement de poste pour suivre son ex-femme qui avait quitté sans prévenir le département avec les enfants.
Lors de l’audience, l’avocate de Miriam évoque un climat familial inquiétant : depuis la séparation, Monsieur surveillerait son ex-femme et les enfants (au point de dormir dans sa voiture devant le domicile de ses ex beaux-parents), aurait violenté sa fille, surprise à sécher un cours pour être avec son petit-copain…
L’avocate d’Antoine, décrit un homme blessé que sa femme essaie de diaboliser. Elle accuse Madame d’avoir coupé tous les liens entre les enfants et leur père du jour au lendemain.
Mais il semble que ce soit les enfants eux-mêmes qui ne souhaitent plus voir leur père.
L’enjeu de cette audience : la garde de Julien. La mère souhaite une garde exclusive, le père une garde partagée (une semaine sur deux).
En tant que spectateur, nous nous retrouvons dans la peau de la juge, sans preuve, seulement un mot de l’infirmière scolaire de Joséphine témoignant d’une blessure au poignet, et les témoignages écrits de collègues et partenaires de chasse d’Antoine qui attestent que c’est un « homme normal ». La juge (se) demande « qui ment le plus ? »
Le délibéré tombe : les enfants restent avec leur mère, mais un week-end sur deux, Julien ira chez son père.
Pour toute personne sensibilisée à la problématique des violences conjugales, cette scène introductive nous donne un certain nombre d’indices sur ce qui a pu se jouer par le passé au sein de ce couple : l’état de prostration de Miriam, les regards insistants d’Antoine sur elle, la coupure des liens et la fuite, la surveillance et la violence physique du père sur sa fille, etc.
Je souligne le contexte particulier dans lequel le réalisateur a choisi de débuter son film : celui de la séparation, contexte particulièrement sensible et catalyseur de violences.
Au fur et à mesure du film, les violences soupçonnées du père viennent à se confirmer à travers une très lente montée en tension jusqu’à un final à la limite du supportable.
Tous les points de vue sont présentés : celui du père, auteur de violences, de la mère victime qui tente de protéger ses enfants, celui de la fille ainée qui réussit à s’extraire de cette cellule familiale qui la fait souffrir, et enfin de Julien, jeune garçon présenté comme la principale victime du film. J’en profite pour saluer la très grande qualité de jeu des acteurs, et particulièrement celle de Thomas Giorgia (Julien).
Le point de vue de cet enfant est traité avec une grande finesse, point de vue jusqu’à présent peu illustré au cinéma. Julien subit beaucoup de pressions psychologiques du père. On s’aperçoit rapidement que l’enfant est instrumentalisé et objet de chantage affectif : Antoine, à travers son fils, cherche à atteindre Miriam, tantôt pour lui prouver qu’il a changé, tantôt pour la surveiller (savoir où elle habite, savoir si elle a un nouveau conjoint), et la discréditer en la faisant passer pour une mère anormale qui abuse des droits que lui a octroyés la juge, le faisant à son tour passer pour victime.
Antoine, le père, l’auteur, est en proie à une violence certaine, sa carrure, son regard, tout est fait pour inquiéter le spectateur. Mais il me semble également que le réalisateur a voulu présenter Antoine autrement que comme un simple « monstre ». Cela se manifeste à travers deux scènes : la première, où Antoine s’effondre en larmes dans les bras de son ex-conjointe après avoir ramené Julien, témoignant ainsi d’une profonde souffrance sous-jacente. La seconde est une scène de déjeuner entre Julien, Antoine et les parents de ce dernier : Antoine et son père se querellent, et parmi les paroles échangées on peut entendre le vieux père dire à son fils « tu n’es qu’un incapable, je comprends pourquoi tes enfants ne veulent plus de toi ». Plus tard, Antoine regarde sa mère, dans l’attente d’un soutien de sa part, mais celui-ci ne vient pas, donnant l’impression qu’elle aussi rejette son fils. Cette courte scène semble nous donner des indices sur les relations familiales déjà complexes entre Antoine et ses propres parents.
Les grands absents de ce film, et il est important de le souligner pour notre fédération et les membres qui la composent, sont le soin, l’accompagnement, la prise en charge ! Aucun des protagonistes n’est accompagné pour faire face à cette situation de conflits. Le soin est simplement évoqué par un « va te faire soigner » de Miriam à son ex-mari.
Après une scène finale d’une très forte intensité, le film se termine sur un plan très symbolique : la porte de la voisine de palier qui se ferme sur celle de Miriam, criblée de balles : façon peut-être de nous rappeler que les violences conjugales et familiales s’expriment dans la sphère intime, et donc souvent invisibles aux yeux des autres. Façon peut-être aussi de nous rappeler que nous sommes tous concernés par ce qui se passe de grave chez nos voisins, et que l’on ne doit pas fermer les yeux sur ce fléau sociétal.
Un film que je vous recommande vivement…
Elise Perrin – Coordinatrice FNACAV
Pour aller plus loin… : Xavier Legrand avait déjà réalisé en 2013 un court-métrage de 30 min sur les violences conjugales intitulé Avant que de tout perdre.
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