Prendre en charge les auteurs de violences conjugales pour mieux protéger les victimes

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In L’Express, Coline Vazquez,

Le gouvernement a annoncé qu’il allait développer les centres accueillant ces hommes pour les faire réfléchir sur leur acte et ainsi réduire le nombre de récidive.

Ils sont une quarantaine en France. Chaque jour, ces centres accueillent des hommes auteurs de violences conjugales. Condamnés ou dans l’attente de leur jugement, ils sont placés là pour les éloigner de leurs victimes et tenter de faire baisser le taux de récidive.

Une initiative que le gouvernement veut élargir à toute la France en installant dans chaque département deux centres qu’il cofinancera, a annoncé Edouard Philippe, ce lundi, en présentant les mesures nées du “grenelle contre les violences conjugales”.

Une baisse de 30% du taux de récidive

Car le dispositif a fait ses preuves, en France et à l’étranger. Selon la fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV), il aurait permis de faire baisser le taux de récidive de 50 à 20%.

Dans l’hexagone, les deux premières structures ont vu le jour dans les années 80 à Paris et à Marseille, mais ont depuis fermé faute de financement. Parmi ceux ouverts récemment, le centre Altérité, à Besançon dans le Doubs, lancé par l’association Addsea.

Depuis sa création, le 1er octobre 2018, cette structure a déjà accueilli 37 hommes. Pour certains, cet hébergement se fait à la place d’une incarcération préventive, avant leur procès en correctionnelle. Pour d’autres, il se fait à l’issue d’une condamnation pour des faits de violences conjugales et, dans ce cas, uniquement sur une demande du condamné. Mais les centres ne proposent pas tous un accueil jour et nuit et dans certains, la prise en charge passe seulement par des entretiens personnels ou collectifs avec des professionnels.

Des profils très différents

Difficile d’établir un profil type, explique Sébastien Girin, chef de service au sein de l’association Addsea et responsable du dispositif Altérité. “En un an, on a accueilli des hommes de 19 à 75 ans. Certains avec des situations professionnelles plutôt confortables comme chef d’entreprise, d’autres en grande difficulté sociale. Parfois, ils ont un emploi, parfois non. Certains étaient en couple au moment des faits, d’autres séparés”, détaille-t-il précisant toutefois que les problèmes d’addictions reviennent chez beaucoup d’entre eux.

Autre point commun, s’ils sont amenés à fréquenter ces centres c’est pour des faits de violences tant physiques – ayant entraîné moins de 8 jours d’ITT -, que psychologiques, comme du harcèlement ou un non-respect d’une ordonnance de protection. Pour ceux accueillis à l’issue d’une condamnation, les faits peuvent être plus graves mais aucun n’est coupable de viol, d’homicide ou de tentative d’homicide, précise Sébastien Gillin. La secrétaire d’Etat Marlène Schiappa l’a confirmé ce lundi : “Il ne s’agit pas de placer les tueurs dans ces structures, mais les auteurs de violences conjugales condamnés à des petites peines ou à des peines avec sursis”.

L’objectif premier est de protéger les conjointes ou ex-conjointe de ces hommes, car elles subissent “une double peine, celle d’être victime et d’être contraintes de quitter leur domicile, précise Sébastien Girin. Et au-delà de la contrainte, de les accompagner pour éviter la récidive”.

A l’Altérité, sur les 37 pensionnaires qui sont passés par le centre en un peu plus d’un an, seulement deux ont récidivé. Ils y avaient été placés après leur condamnation. Pour les autres, qui y attendaient leur procès, six ont vu leur contrôle judiciaire révoqué pour ne pas avoir respecté le fonctionnement de la structure.

Réfléchir sur son acte et trouver des stratégies d’évitement

“Quand ils arrivent, ils sont souvent très abattus, dans la victimisation. Mais après, une fois posés, la plupart se rendent compte de leur passage à l’acte, des conséquences de ce qu’ils ont fait, notamment sur leurs enfants. S’ils ont du mal à être empathiques vis-à-vis de la mère, au sujet de leurs enfants, c’est différent”, explique le responsable du centre qui met en place des entretiens individuels avec une assistante sociale et une psychologue, mais aussi des ateliers de groupe.

“Ils y sont confrontés à des hommes qui ont vécu la même chose. Certains sont déjà dans une réflexion, ce qui permet d’emmener le groupe. D’autres sont plus réfractaires”, ajoute-t-il. Pendant ces séances, ils réfléchissent aux facteurs qui les ont amenés à avoir ce comportement et tentent de trouver des stratégies d’évitement.

De plus, “systématiquement, on rencontre les victimes pour les informer du fonctionnement de notre service et connaître leur version des faits. C’est important pour nous, pour pouvoir travailler avec les auteurs de violences conjugales. Et s’il y a un projet de reprise de vie commune, on s’assure qu’il est partagé par les deux”, ajoute encore Sébastien Girin.

Un an après la création d’Altérité, il se félicite d’avoir un “bilan plutôt positif”, même s’il regrette le retard de la France dans ce domaine par rapport à des pays comme la Suisse ou le Canada. Et si son centre bénéficie d’un soutien important, notamment financier, d’autres peinent à exister, souligne Alain Legrand, psychologue, directeur du centre SOS Familial et président de la Fédération nationale des associations et de centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales et familiales (FNACAV). Créée en 2003, elle regroupe 32 structures dont l’Association de lutte contre les violences, l’ALCV, basée à Paris, au bord du gouffre, déplore-t-il. Il se réjouit donc de l’annonce du gouvernement : “Notre satisfaction, c’est de savoir qu’on a enfin été entendu et qu’on va pouvoir travailler sereinement”.