L’association pour le contrôle judiciaire en Essonne pleinement engagée sur les violences intrafamiliales

In Actu-Juridique.fr, Publié le 01/03/2023 – mis à jour le 01/03/2023 à 11H16

Instauré en 1970, le contrôle judiciaire a motivé la création des structures comme l’Association pour le contrôle judiciaire en Essonne (ACJE 91). Elle intervient dans toutes les procédures correctionnelles ou criminelles. Créée en 1984 et rattachée au tribunal judiciaire d’Évry (91), l’ACJE 91 est dirigée depuis 2003 par François Roques. Depuis sa prise de fonction la structure socio-judiciaire a évolué. 17 personnes travaillent au quotidien au sein de l’association. Face à la croissance des phénomènes de violences intrafamiliales, l’ACJE 91 a développé sa prise en charge des auteurs au-delà du contrôle judiciaire. Jusqu’à créer en 2020 un service spécialisé sur les violences conjugales, dédié à la prévention. Retour sur les évolutions de la structure avec son directeur François Roques.

Actu-Juridique : Qu’est-ce que l’Association pour le contrôle judiciaire en Essonne (ACJE 91) ?

François Roques : C’est une structure socio-judiciaire généraliste créée en 1984 et rattachée au tribunal judiciaire d’Évry pour réaliser les contrôles judiciaires. Rapidement, nous avons également effectué des mesures d’enquête sociale rapide, depuis leur introduction dans la loi en 1992. Toutes les personnes déférées sont suivies à travers ce type de procédure. Nous faisons environ 3 000 enquêtes par an. Ensuite, pour recontextualiser, le contrôle judiciaire était comme une coquille vide, au départ. Il n’y avait pas vraiment d’indications sur ce qu’on devait faire dans un contrôle judiciaire. Il n’y avait pas de cahier des charges. Nous savions que c’étaient des interdictions ou des obligations. Quand je suis arrivé à la direction de l’ACJE 91, j’ai professionnalisé la structure en collaboration avec le TJ d’Évry. Quand un magistrat prononce un contrôle judiciaire aujourd’hui, il sait ce qu’il va y avoir à l’intérieur. Nous avons une convention avec la cour d’appel qui nous donne une habilitation.

Actu-Juridique : Qu’est-ce qui amène aujourd’hui les personnes à être placées sous contrôle judiciaire ?

François Roques : Clairement, de manière exponentielle, les violences intrafamiliales ont pris le dessus sur les autres typologies de délinquance. Plus de 60 % de notre activité est liée aux violences conjugales. Il y a 20 ans, ce sujet était anecdotique. Quand je suis arrivé au sein de l’association, ce phénomène était catégorisé et mélangé avec les autres violences. Nous avons donc créé des dispositifs spécifiques et le sujet intrafamilial est devenu visible dans nos chiffres. En 2005, nous avions traité 53 dossiers. En 2022, nous avons eu 537 procédures de contrôle judiciaire à suivre concernant des violences conjugales ou intrafamiliales. Parfois, nous avons entre cinq et six déferrements par jour pour ces infractions. Au total depuis la création des contrôles judiciaires pour violences conjugales, le tribunal judiciaire d’Évry nous a confié 3 378 procédures. Sur 17 ans, nous avons constaté un taux de récidive de 2,9 % en termes de violences physiques. C’est vraiment la mutation la plus importante. Ensuite, sur un plan structurel, nous avons constaté une évolution à la baisse des saisies d’instruction, c’est-à-dire des mesures longues. Il y a 20 ans, nous avions beaucoup de saisines d’informations judiciaires. Ces mesures se sont effilochées à la faveur des procédures de comparution par procès-verbal avec placement sous contrôle judiciaire (CPVCJ). Elles sont plus courtes (6 mois). Aujourd’hui, nous avons près de 10 % de saisines dans le cadre d’information judiciaire.

Actu-Juridique : Comment se déroule une procédure de contrôle judiciaire à votre niveau ?

François Roques : Tout commence par l’enquête sociale rapide. Au moment du déferrement, nous faisons un point sur la situation familiale, sociale, professionnelle, médicale et financière du mis en cause. Nous posons les premiers jalons d’un éventuel contrôle judiciaire. L’objectif est d’amener aux magistrats tous les éléments qui vont lui permettre, le cas échéant, de prendre une décision de contrôle judiciaire. Par exemple, nous étudions les possibilités d’éloignement du territoire, de relogement du mis en cause pour éviter l’incarcération. Face au magistrat, l’avocat pourra s’appuyer sur ce type d’élément pour solliciter un placement sous contrôle judiciaire au lieu d’un placement en détention. Si le placement sous contrôle judiciaire est prononcé, nous prenons en charge immédiatement le mis en cause. Nous organisons la récupération de ses affaires, l’éloignement, le contact avec un proche pour venir le chercher, etc. Notre force est d’être réactif dans la prise en charge des personnes.

Actu-Juridique : Une fois la personne placée sous contrôle judiciaire, quelles sont vos actions ?

François Roques : Dans notre prise en charge, nous allons aller plus loin que les interdictions et les obligations de la personne placée sous contrôle judiciaire. Nous essayons de traiter l’ensemble des problématiques du prévenu. Notre boulot est de faire réfléchir le mis en cause au caractère désintégrant et néfaste de l’acte délictuel ou criminel qu’il a commis. Nous tentons de mobiliser chez lui une prise de conscience par rapport à l’infraction commise. Dans ce sens, nous faisons donc un point sur sa situation médicale et sociale. Nous déterminons ses besoins au niveau médical et par rapport à sa dynamique d’insertion. Puis nous fixons un nouveau rendez-vous. Entre-temps, le mis en cause a une feuille de route en termes de logement, d’emploi et de suivi médical. Il nous fait un compte rendu sur ses démarches à la prochaine rencontre. En cas de non-respect répétitif de la fiche de route, nous faisons un rapport d’incident au magistrat. Le juge peut ensuite prendre une nouvelle décision. En revanche, si le contrôle judiciaire se passe bien, tous les six mois, nous faisons un rapport intermédiaire au magistrat, jusqu’à l’audience. Lors de la comparution devant la juridiction, nous rendons un nouveau rapport avec les évolutions du comportement de la personne pendant la durée de son contrôle judiciaire. Durant l’audience, notre travail lors du contrôle judiciaire est une aide à la décision pour le magistrat.

Actu-Juridique : Dans votre activité, en dehors des violences intrafamiliales que nous aborderons juste après, quel public est le plus souvent confronté aux contrôles judiciaires ?

François Roques : En général, nous avons régulièrement un public assez jeune entre 18 et 25 ans, concernant de la délinquance générale. Nous sommes situés dans une juridiction de banlieue à Évry et donc un contexte avec des enjeux précis. Nous avons des jeunes individus qui nous indiquent qu’ils gagnent beaucoup d’argent grâce au trafic de drogue par exemple. Notre objectif est de leur faire cesser cette activité en trouvant des arguments en lien avec la légalité qui vont aller vers leurs intérêts. Nous tentons de mobiliser le potentiel des personnes placées sous contrôle judiciaire. C’est dans leur intérêt individuel de trouver un travail, de cesser les activités illicites ou de ne pas être dans un rapport violent à l’autre. Nous constatons toujours un moment de bascule dans une mesure de contrôle judiciaire. Au début, le mis en cause nous voit comme des personnes pénibles. Puis à un moment, il commence à se rendre compte que le contrôleur judiciaire demande certaines choses qui vont dans son sens et dans son intérêt. Il prend conscience de notre accompagnement d’insertion dans son parcours judiciaire.

Actu-Juridique : Comment se déroule le contrôle judiciaire dans le cadre de violences conjugales ?

François Roques : Quand j’ai pris mes fonctions en 2003, je voyais notre rôle comme un partenaire de la justice. Dans le cadre de ce partenariat, nous avions la liberté de proposer des dispositifs et des mesures. Dans ce contexte, dès mon arrivée, je suis allé proposer un projet sur les violences intrafamiliales. Venant de la protection de l’enfance, j’étais sensible à ce sujet. À ce moment-là, je propose que l’association prenne en charge les auteurs de violence conjugale, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, notamment en s’occupant de leur hébergement quand il y a éviction du domicile familial. En tant qu’association, nous avons pris deux chambres du foyer Adoma d’Évry. Ainsi, le respect de l’obligation pour le mis en cause de quitter le domicile conjugal était facilité. Suite à cette mesure, le parquet a systématisé les évictions, dans le cadre des violences intrafamiliales. Aujourd’hui, nous avons huit chambres au foyer Adoma d’Évry, des appartements collectifs à Dourdan et à Étampes. Ces différentes possibilités permettent de mettre plus de distance entre la victime et l’auteur de violences. Ensuite, la deuxième problématique touchait l’obligation de soin. La prise en charge du mis en cause n’était pas efficiente. Au sein de l’association, nous avons donc formé en interne des personnes en psychologie pour gérer en interne l’obligation de soin des violences conjugales. Pour l’audience, nous pouvons fournir un rapport au magistrat sur le suivi thérapeutique du prévenu. Quelques années plus tard, nous avons créé un partenariat avec l’aide aux victimes de l’Essonne : l’association Médiavipp 91. Aujourd’hui, les rôles sont répartis. Nous nous occupons des auteurs de violences, Médiavipp 91 s’occupe des victimes. Pendant le contrôle judiciaire, les équipes de nos deux structures sont en lien en permanence pour qu’il y ait un suivi précis des auteurs et des victimes. Au sein du parquet, nous avons aussi des référents sur les violences conjugales. Il y a une véritable chaîne entre nous, l’aide aux victimes et le parquet. Ce sont des liens permanents avec les uns et les autres. Nous faisons vraiment du sur-mesure pour les auteurs de violences conjugales.

Actu-Juridique : Comment se traduit cette prise en charge sur-mesure des auteurs de violences conjugales ?

François Roques : Nous trouvons une traduction par exemple dans les alternatives aux poursuites. Dans le cadre de procédures judiciaires moins importantes, nous avons différentes mesures. En 2012, nous avons commencé par les stages de responsabilisation. Puis en 2014, il y a eu la création des stages de sensibilisation. La première mesure consiste en un stage de deux jours dans le cadre d’une procédure de composition pénale. Le mis en cause suit une approche psychologique et juridique à travers une prise de conscience des comportements violents. L’objectif est de prévenir la récidive et de responsabiliser l’auteur. En 2021, nous avons eu 289 saisines. Cette approche a connu une forte augmentation en 2022 avec 554 stages réalisés. Dans le cadre de ces stages, l’objectif est d’enclencher une rupture avec les fonctionnements violents des prévenus. Les profils concernés sont des personnes menaçantes, qui ne sont pas forcément passées à l’acte de la violence physique. Les stages permettent de casser les cycles de violence pour éviter une situation plus grave. Les dynamiques de changement peuvent être très rapides car nous prenons en charge le plus tôt possible les comportements violents. Ces mesures évitent les classements sans suite pour le magistrat. Enfin, il y a la composition pénale d’éloignement. C’est un dispositif ponctuel, utilisé dans certains cas. Pour résumer, c’est un contrôle judiciaire allégé.

Actu-Juridique : Comment votre association a-t-elle évolué par rapport au sujet des violences conjugales ?

François Roques : Dans le cadre de nos actions, nous avons de nombreux partenaires qui peuvent nous orienter des personnes liées à des actes de violences intrafamiliales. Parmi eux, il y a l’administration pénitentiaire. La plupart du temps, nous prenons en charge des profils très violents qui ont purgé une longue peine ferme avec un suivi socio-judiciaire ou un sursis probatoire. Cette prise en charge se fait sans décision judiciaire nous concernant. Après leur remise en liberté, nous nous occupons de les accompagner sur l’hébergement et la réinsertion sociale. Nous les accueillons et les évaluons pendant un mois. Nous proposons un protocole d’accompagnement pendant la durée du suivi socio-judiciaire ou du sursis probatoire. Ensuite, depuis 2020, nous avons vraiment un service spécialisé sur les violences conjugales. La voie d’entrée peut être judiciaire ou volontaire pour des personnes auteurs de violences. Nous sommes une sorte de guichet unique en Essonne pour les auteurs de violences conjugales ou ceux qui craignent de passer à l’acte. Effectivement, nous proposons aussi d’accompagner des personnes qui craignent de faire subir des violences. Même si nous restons généralistes, notre association est vue comme une structure dédiée à ce sujet dans le département et en Île-de-France. Depuis la création des centres de prise en charge des auteurs (CPCA), suite au Grenelle consacré aux violences conjugales en 2019, nous sommes l’antenne essonnienne du CPCA Île-de-France.

Actu-Juridique : Comment voyez-vous l’avenir sur ce sujet concernant votre association ?

François Roques : L’idée serait de faire de plus en plus de prévention. Lorsque je fais des stages, il y a des mis en cause pour des violences conjugales qui me disent « pourquoi on ne nous a pas expliqué ces choses avant ? ». Il faut traiter le sujet des violences intrafamiliales dès le plus jeune âge, dans les écoles, les collèges ou les lycées. Cette dimension de la violence doit être abordée le plus tôt possible. Selon moi, la seule politique efficace en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, c’est une politique de l’enfance et de l’éducation plus volontariste dans cette matière. Puis les violences ne sont pas une fatalité. Nous travaillons beaucoup sur cela. Des violences répétées peuvent être cassées à un moment donné lorsque c’est pris en charge.

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